En revue : Leherpeur Paris et le Défi invitent le secteur de la mode à se réinventer

Otto Masters pour Nastymagazine

Parler de l’avenir de la filière mode française : un challenge d’envergure à l’heure où les enseignes moyen de gamme et de plus en plus de labels voient les fondements de leur modèle économique déstabilisés. Mais un challenge nécessaire qu’ont relevé les équipes du cabinet Leherpeur Paris missionnées par le Défi.

La mission du Défi, qui finance de nombreuses initiatives dans le secteur de la mode, est justement « de soutenir et d’accélérer le développement et la transformation des acteurs de la mode et de l’habillement français. » Pour cela, et alors que l’institution dirigée par Clarisse Reille doit définir son nouveau contrat d’objectif et de performance 2024-27, le Défi et les fédérations du secteur ont commandé une étude prospective dont les résultats ont été présentés ce 15 avril. Celle-ci s’est appuyée sur des entretiens avec des experts de la distribution, du luxe, de la formation et de la RSE, auxquels s’ajoutent des échanges avec des étudiants ainsi qu’une analyse des attentes des consommateurs.

« L’objectif était d’arriver à des solutions qui amènent des réponses et permettent à ce secteur de continuer d’être leader en représentant plus de 150 milliards d’euros de chiffres d’affaires », explique Clarisse Reille.

Oser tout repenser de A à Z

Il en ressort 10 points clés qui ont permis au Défi et à Leherpeur Paris de livrer trois pistes qui pourraient permettre de « régénérer la filière mode. » Il s’agit d’investir dans l’humain, en revoyant le management et adapter la formation, renforcer la singularité de la mode française et européenne en travaillant sur la responsabilisation sur l’ensemble de la filière et enfin replacer la création au cœur sur le produit mais aussi sur l’image et l’expérience.

À l’écoute du propos porté par l’équipe du cabinet, tout l’enjeu pour les acteurs tient d’abord à une remise en question de leur approche. Les premiers points identifiés sont en effet « revoir les schémas de pensée », passer à « une approche écosystème » mais aussi « renforcer sa singularité » et « transcender les critères de traçabilité et de transparence » ou encore « repenser sa chaîne de valeur. »

Concrètement cela signifie construire les collections autrement et revoir les articulations pour produire moins, mais aussi maîtriser la data pour « démontrer son engagement à ne plus suivre les anciennes pratiques. » Pour faire face aux enjeux de responsabilité sociale et environnementale, technologiques ou digitaux, des attentes des salariés ou encore des atouts pour créer, l’étude pousse au développement d’un « esprit de corps » et incite même à l’équivalent d’un « plan Marshall », avec des outils et un vocabulaire partagé. « Plus que tout autre secteur, la mode est le reflet de la société, avancent les auteurs de l’étude. C’est un secteur qui a une puissance de régénération que n’ont pas d’autres secteurs, il faut s’appuyer sur cette puissance pour se réinventer. Proposer un nouveau lexique ou de nouveaux moments de rencontre. »

Leherpeur Paris analyse aussi les différents segments de marché et, même s’il est malmené, envisage un avenir pour le moyen de gamme en France. « La mode accessible est coincée entre une mode fonctionnelle venue des USA et une ultra fast-fashion venue d’Asie : il y a certainement une voie européenne voire française à trouver. »

En repensant sa chaîne de valeur, le secteur doit selon l’étude, développer son potentiel dans l’économie de la réutilisation et du réemploi. Un élément parmi d’autres qui doit permettre de renforcer la singularité de la mode française et européenne. Le luxe est un levier qui doit permettre de donner un élan à l’ensemble du secteur. « Il faut utiliser le pouvoir incroyable des Fashion Weeks de Paris, estime Clarisse Reille. Utiliser cette base pour aller plus loin, pour montrer combien la mode française peut proposer de nouvelles solutions et de nouveaux futurs. »

Pour remettre au cœur la création, les auteurs de l’étude avancent que celle-ci ne se limite plus au dessin et à l’esthétique mais à l’expérience ainsi qu’à toutes les nouvelles technologies qui peuvent « permettre de penser et de concevoir la création sous d’autres angles. »  La filière doit s’emparer de la tech et de la science aux bons endroits, avance l’étude, en utilisant qualitativement les données.

Pour le Défi et Leherpeur Paris, les acteurs doivent avoir « la volonté de revoir les choses de A à Z. C’est important à tous les niveaux de ce que vit la filière et lui permettre de garder la longueur d’avance sur le sujet de la création dans la mode. »  Au cœur du changement, selon l’étude, se situe l’humain. Et c’est clairement là que le secteur fait face à un défi majeur : l’étude relevant les difficultés du secteur à attirer les talents. À cet égard, la remise en question des organisations managériales, considérées comme rigides et peu empathiques, apparaît comme une priorité face à de nouvelles attentes des salariés. Le rapport au travail est en effet questionné dans le monde entier. Le cabinet Leherpeur pointe notamment un « middle management qui bloque le progrès, des chefs de produit enfermés dans des grilles de compréhension du monde obsolètes. » Pour avancer sur ce point central, les auteurs préconisent l’entrée de profils nouveaux, comme des ingénieurs et des créatifs, « pour limiter l’entre-soi » du secteur mais aussi en développant des formations pour avoir des profils hybrides apportant la maîtrise de la data, l’appropriation de l’économie circulaire et l’« amour de la création. »

Pour faire face au défi de la décennie, les entreprises de mode vont donc devoir changer leurs grilles de lecture. Un changement de culture et de vision qui germe dans nombre de sociétés. Reste que pour un secteur majeur de l’économie française, le Défi en appelle aussi à un financement renforcé de l’État pour accompagner ces transformations.

Olivier Guyot pour Fashion Network