LES GRANDS PARISIENS // ALADDIN CHARNI DU FREEGAN PONY

Dans le cadre de notre conférence ‘Les Grands Parisiens’ du 27 Juin, nous sommes allés à la rencontre de Parisiens intra et extra-muros qui font voir la vie en Grand. En avant-goût, nous partageons les histoires de celles et ceux que nous avons interviewé.

Le premier portrait est celui d’Aladdin Charni qui place le partage au coeur du système. Nous l’avons rejoint au Freegan Pony, cet immense espace alternatif, situé sous le périphérique de la Porte de la Villette. Ce squat est à la fois un restaurant, un lieu où l’on fait la fête jusqu’au bout de la nuit, mais c’est aussi et surtout un espace qui symbolise un nouveau système de vie et de pensée qui pourrait bien structurer le Grand Paris de demain. Rencontre.

L’HISTOIRE D’ALADDIN
« Je suis parti de chez moi à 18 ans et ce fut une renaissance. J’ai quitté une famille très pieuse, où la télévision et les magazines étaient interdits. On m’a inculqué l’idée que moins on avait d’amis, mieux c’était. Alors, lorsque je suis parti, j’ai découvert le monde et j’ai dû tout apprendre : interagir, communiquer et aussi, trouver des solutions pour survivre.
En arrivant à Paris, j’ai beaucoup galéré. Un soir, j’ai suivi un ami squatteur, comme ça, pour essayer. Ce soir là, on s’est fait arrêter. Dès lors, le squat a fait partie de ma vie. J’ai eu envie de revendiquer ce mode de vie, pas seulement comme un acte de nécessité, mais comme un acte politique à part entière. Cela fait maintenant 10 ans que je suis squatteur. Sinon je n’ai pas d’étiquette, et je n’ai pas le sentiment d’appartenir à un groupe ou un autre : je suis musulman mais pas trop, je suis de gauche…mais j’écris à droite.
Quand tu es squatteur, il faut beaucoup marcher et emprunter de nouvelles rues. Cela permet de dénicher de nouveaux espaces laissés à l’abandon.

DE LA VIE DE SQUATTEUR À ‘FREEGAN’
Quelques années plus tard, le ‘freeganisme’* est arrivé comme une évidence. J’ai suivi un groupe d’anglo-saxons qui nourrissait 25 personnes du squat en récupérant de la nourriture dans les poubelles des supermarchés. Je me suis dis : finalement pourquoi acheter alors que les poubelles sont pleines ? A cette époque, je vivais dans un squat du 3ème arrondissement de Paris. Nous étions 11, tous les soirs, à venir chercher ce qui était jeté dans les poubelles: un sdf, une mamie qui n’avait pas assez d’aides, une étudiante amaigrie de ne manger que des pâtes tous les soirs…on trouvait tous les profils. Tout ce beau monde était bien ensemble. Puis, je trouvais tellement de nourriture que j’ai commencé à organiser des apéros, chez moi, pour mes potes. Il me restait encore de quoi manger. J’ai donc cherché à sensibiliser encore plus de monde à cette pratique. C’est ainsi que le projet du ‘Freegan’ est né.
*mode de vie et philosophie qui consiste à ne vivre que de gratuit

 

LA NAISSANCE DU FREEGAN PONY
J’ai repéré ce lieu il y a plus de 6 ans. Je sentais le volume potentiel derrière cette porte. Y pénétrer a été très compliqué. Cet ancien hangar de la voirie, situé sous le périphérique, avec rien autour, était un vrai No man’s land. Le lieu était très encombré et surtout très sale. Nous avons passé 2 mois à tout remettre en état…et tué 6 aspirateurs ! Pendant 4 mois, on y a organisé des soirées appelées ‘PeriPate’, sur le même principe que les soirées Pipi Caca (club-squat du collectif Poney Club installé dans d’anciennes toilettes publiques au métro Bonne Nouvelle). Puis est venue l’idée de monter un restaurant. Nous avons démarché les grossistes de Rungis pour récupérer leurs invendus. Ce lieu, où tout le monde pouvait venir manger, était plus qu’un restaurant, c’était un lieu de rencontre. Aujourd’hui, le restaurant a fermé pour une question de normes. Mais grâce au financement participatif et à l’aide de la Mairie de Paris, nous espérons rouvrir le FreeganPony le 16 octobre : c’est la journée mondiale contre le gaspillage alimentaire. On aime le symbole !

LE GRAND PARIS
Paris a été sa propre banlieue, on a tendance à l’oublier. Paris n’a cessé d’absorber sa banlieue petit à petit. Paris avant, ce n’était que quatre quartiers ! Aujourd’hui, Paris a plus que jamais besoin de sa banlieue : elle lui apporte un nouveau souffle. Paris suffoque. La nuit parisienne a recommencé à exister parce qu’elle a accepté de dépasser le ‘périph’ en investissant de nouveaux espaces. Il y a quelques années, il aurait été inconcevable de faire la fête à Aubervilliers. Même pour un squatteur, vivre en zone 2, c’était le bout du monde !
Un Paris idéal dans 10 ans, ce serait une ville sans périphérique car Paris est enclavée par cette barrière psychologique. Il faudrait détruire ce périphérique, d’autres grandes villes du monde l’ont bien fait. Et évidemment, cela passerait aussi par une ville plus juste, dans laquelle on utiliserait moins la voiture.
Je suis un insatiable : j’ai toujours beaucoup d’envies et de désirs. J’aurais dû avoir un frère jumeau…alors j’essaye de vivre pour deux. »

Photographies © Neige de Benedetti

http://neigedebenedetti.it

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