En revue : La fast fashion se pare des atours du luxe

Paolo Roversi

Pour M le Magazine du Monde, LeherpeurParis a partagé son regard avec Sophie Abriat, sur l’amorce de la montée en gamme de la fast fashion : mécénat artistique, collaborations plus pointues, films de mode, emprunt aux codes du luxe… que signifient ces récentes stratégies ?

Collections haut de gamme, mécénat artistique, collaborations avec des créateurs pointus… Les enseignes Zara, Stradivarius ou H&M empruntent la stratégie des grandes maisons.

En ce matin de décembre, à deux pas de l’Opéra de Paris, au 2 de la rue Halévy, le magasin Zara accueille ses clients avec une nouvelle installation : à l’entrée, un espace au sol blanc immaculé et paré de miroirs a été aménagé. En son centre, des mannequins de couture sont habillés de luxueux manteaux : ­broderies de sequins, franges de plumes, brocart coloré, jacquard de fils métallisés, détails au point de croix… L’étiquette des pièces fait l’éloge de l’artisanat et présente le nouveau concept de l’enseigne espagnole baptisé « Zara Atelier ».

Une équipe spéciale de designers a imaginé cette première collection d’essentiels. Six pardessus, ponchos et capes édités en série limitée, vendus entre 299 euros et 399 euros – des prix trois fois plus élevés que ceux pratiqués habituellement par l’enseigne. Pour parfaire le tout, c’est le célèbre photographe de mode Paolo Roversi, plus habitué à travailler pour des maisons de luxe et des magazines, qui signe les visuels.

Mi-décembre, le géant espagnol dévoilait aussi un film de Noël de quarante-trois minutes signé du réalisateur Luca Guadagnino, collaborateur régulier de grands noms de la mode comme Dior ou Ferragamo.

« Ces enseignes amorcent leur montée en gamme, cherchant à modifier la façon dont on les perçoit. » Gachoucha Kretz, professeure associée de marketing

En septembre, déjà, Zara surprenait en collaborant avec le pointu label allemand Kassl Editions. Un mois plus tard, l’autre marque espagnole de fast fashion, Mango, dévoilait en grande pompe sa ligne de classiques créée par la styliste et influenceuse danoise Pernille Teisbaek dans la très chic galerie Louise Roe, à Copenhague. « En communiquant sur les savoir-faire, en déve­loppant des matières plus qualitatives et des modèles intemporels en quantités limitées, ces enseignes empruntent les codes du luxe. Elles amorcent leur montée en gamme, cherchant à modifier la façon dont on les perçoit », souligne Gachoucha Kretz, professeure associée de marketing à HEC Paris.

Cette année, Stradivarius (groupe Inditex) a lancé son projet de mécénat artistique – ici encore, une stratégie bien rodée des griffes de luxe. L’idée ? Donner de la visibilité à des talents émergents en exposant leurs œuvres dans des boutiques et transformer ces dernières en « galeries d’art » – selon les mots de la marque.

En ce moment, quatre artistes sont ainsi propulsées sur le devant de la scène : la peintre Agnieszka Kostka, la brodeuse Cécile Davidovici, l’illustratrice María Melero et l’artiste murale Francesca Guicciardini. Quant à H&M, l’enseigne suédoise s’associe désormais – aux antipodes des collaborations qui ont fait sa gloire avec des créateurs de renommée mondiale comme Isabel Marant ou Karl Lagerfeld – à des noms confidentiels tels Sabyasachi Mukherjee, le créateur indien, ou Toga Archives, la marque japonaise.

Faire taire les critiques ?

Régulièrement dénoncées pour leurs pratiques anti-écologiques, accusées de reproduire les silhouettes des défilés des marques de luxe avant même qu’elles ne soient en boutique, peu disertes sur leurs méthodes de fabrication, les enseignes de fast fashion chercheraient-elles à faire taire les critiques ? « C’est comme si elles voulaient se racheter une légitimité à travers une conscience créative. Avec ces initiatives, elles se positionnent comme des créateurs capables de produire de l’inédit et pas seulement comme des copieurs », souligne Morgane Pouillot, planneur stratégique chez Leherpeur Paris, agence de conseil en prospective et stratégies créatives.

Selon Gachoucha Kretz, « pour opérer leur transformation responsable, ces marques sont obligées de se poser la question de la réduction des volumes de production. En montant en gamme, elles misent sur des éditions limitées et augmentent leurs prix pour maintenir leur niveau de rentabilité. On peut cependant regretter que ce mouvement ne s’accompagne pas d’une transparence sur l’intégralité de leur chaîne de valeurs. »

Ces enseignes historiques sont également de plus en plus débordées par ce qu’on appelle la « fast fast fashion », incarnée notamment par l’enseigne chinoise Shein, qui fabrique encore plus vite et à plus bas coût. Devant une telle concurrence, elles n’ont pas d’autre choix que de se réinventer. Le client suivra-t-il ?

Sophie Abriat