En revue : Packagings de luxe

«  Se procurer une part de rêve : le grand emballement pour le packaging des marques de luxe « 

Sous la plume de Sophie Abriat pour le M magazine du Le Monde, nous avons apporté notre éclairage pour tenter d’expliquer ce nouvel emballement pour les packagings et les emballages des marques de luxe sur les sites de seconde main.   

@Martin Cole

Comme le problématise la journaliste « cela semble fou mais ça existe. Qu’est-ce que cela dit de l’époque, du rapport aux marques ? Finalement pas mal de choses… »   
Du pouvoir du luxe, du besoin presque viscéral d’appartenir à cette expérience au « screen lifestyle » (ce nouveau lifestyle des écrans), cet engouement dit beaucoup de nos temps modernes.

Rubans, sacs en papier et boîtes griffés Gucci, Chanel ou Louis Vuitton s’échangent à bon prix sur les sites de seconde main. Un moyen de s’offrir un peu de l’aura des marques mises en avant par les influenceurs sur les réseaux sociaux.

« A vendre boîte verte signée Rolex. En parfait état. 200 euros. » L’annonce est sur eBay. Sur la photo de présentation, la boîte est ouverte, laissant apparaître le socle sur lequel une montre aurait dû reposer – ici, désespérément vide. De quoi s’agit-il ? D’un packaging, rien de plus, mis en vente par un particulier. Ajoutez quelques euros et vous obtiendrez livret, surboîte en carton et sac shopping – le tout griffé Rolex bien entendu –, soit l’intégrale des reliquats de l’achat d’un objet de luxe, sans l’objet de luxe.

Sur les sites de seconde main, vendre des emballages est devenu une pratique courante. Tout a commencé il y a quelques années lorsque des petits malins ont eu la drôle d’idée de mettre en vente des cintres siglés Chanel. Bingo ! Ceux-ci ont trouvé preneurs. Depuis, leur prix s’est envolé : le lot de trois atteint désormais 161 euros sur le site d’e-commerce de luxe Farfetch Pre-owned (une catégorie qui propose des pièces d’occasion et, donc, du packaging à l’avenant…).

80 euros pour un sac en papier

Aujourd’hui, c’est tout un éventail d’emballages de marques qu’il est possible d’acheter sur le Web. Sur la plate-forme Internet de vêtements pour homme Grailed, par exemple, les tote bags (sacs en coton) Rick Owens se vendent comme des petits pains. Ailleurs, sur Vinted, Etsy ou Leboncoin, boîtes à chaussures, sacs de shopping, dust bags (sacs pour protéger de la poussière) et flacons de parfum (vides) griffés Gucci, Louis Vuitton ou Balenciaga s’échangent comme n’importe quel autre objet.

Sur Vestiaire Collective, ces contenants sont classés dans la catégorie Design & Décoration. Quant aux célèbres boîtes en carton orange d’Hermès, elles sont carrément mises aux enchères. La maison Cornette de Saint Cyr en propose régulièrement à la vente – le dernier lot (six modèles) s’est vendu 91 euros.

« Quand on se dit que de tels emballages sont à vendre et qu’il y a des gens pour les acheter, on ne peut pas s’empêcher de penser que le monde est devenu fou. Mais, passé le premier étonnement, il est plus intéressant de questionner cette pratique que de l’ignorer », fait valoir Elodie Nowinski, sociologue de la mode et doyenne de la faculté des industries créatives du City of Glasgow College.

En avril 2021, une étude réalisée par le site britannique Money a identifié les packagings de produits de luxe les plus recherchés sur eBay, en estimant leur prix moyen de revente. Les boîtes vides de maisons horlogères arrivent en tête du classement : comptez 190 euros en moyenne pour un écrin Rolex, 175 euros pour un équivalent TAG Heuer. Du côté des sacs shopping, là encore les prix laissent songeurs. Il faudra débourser 80 euros en moyenne pour acquérir un sac en papier Louis Vuitton ou Gucci, 65 euros pour un modèle Louboutin. Comptez 60 euros la bouteille de parfum Dior (sans son jus, évidemment) et 48 euros la boîte à chaussures Saint Laurent.

« En termes économiquescela représente la première porte d’entrée vers une marque de luxe, après les parfums et les cosmétiques. L’apposition du logo confère à l’objet une valeur symbolique et sociale, sans pour autant en changer sa nature – cela reste du banal carton. L’opération de transsubstantiation est telle que même un vieil emballage acheté sur un site de seconde main contient encore une part de magie »,poursuit Elodie Nowinski, qui voit dans cette pratique « un besoin d’identification à travers la marque devenu démentiel ».

Une partie intégrante du produit

Cet engouement souligne aussi l’importance du packaging dans un monde converti au commerce en ligne. « L’emballage est bien sûr historiquement un des piliers de l’expérience client des maisons de luxe avec des boîtes signature comme celles d’Hermès, Cartier, Tiffany & Co… Mais il est revalorisé, voire survalorisé, par les marques dans le cadre de leur stratégie numérique comme l’un des rares éléments encore tangibles de l’expérience shopping », avance Louis Morales-Chanard, directeur de la stratégie du groupe publicitaire Dentsu.

Et la tendance s’accélère, la pandémie ayant fait migrer une bonne partie des achats en boutique vers le Web, accentuant l’illusion que, avec les livraisons, c’est un peu Noël tous les jours. En décembre, dans la campagne publicitaire Holiday 2020 de Louis Vuitton, l’actrice Alicia Vikander enlaçait l’une des fameuses boîtes de la marque ornée d’un ruban bleu. Quand Kylie Jenner, la benjamine du clan Kardashian-Jenner, pose sur Instagram avec sa collection de sacs Louis Vuitton, elle laisse à dessein les boîtes et les sacs shopping en évidence.

« L’emballage fait désormais partie intégrante du produit et il doit être à la hauteur du savoir-faire des marques. Ces dernières mettent tout en œuvre pour que le client le conserve précieusement. A lui de le recycler en objet de décoration ou de rangement, par exemple », souligne Johann Ramière, fondateur d’Esprit du luxe, spécialisé dans le packaging durable.

Il constate une montée en gamme des demandes de ses clients : des rubans de meilleure qualité (un ruban Chanel se chine entre 5 et 25 euros en ligne), du papier de soie logotypé, des matières de plus en plus novatrices et écoresponsables. Il a même créé du carton à partir de pelures de pomme de terre. « Quand on revend un objet de luxe, sa valeur est supérieure avec la boîte d’origine. En horlogerie, le packaging manquant entraîne même une décote de l’objet », détaille le spécialiste.

Filmer l’ouverture du colis

Les emballages sont eux-mêmes devenus des sources d’inspiration pour la création de produits de luxe. Après avoir revisité le cabas Frakta du géant suédois Ikea en 2017, Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga, a transformé le sac de courses en plastique en une version en cuir à logo (collection printemps-été 2022). Et, dans son premier défilé haute couture de juillet dernier, les mannequins arboraient des sacs shopping griffés Balenciaga couture en cuir de veau embossé – les boîtes, elles, se métamorphosaient en pochettes du soir.

Les vidéos d’unboxing (ou déballage) qui ont envahi les réseaux sociaux ne seraient pas étrangères à ce phénomène de revente. La pratique, très répandue chez les influenceurs, consiste à filmer l’ouverture du colis d’un produit reçu – en général, un cadeau de la marque. « C’est une forme de ritualisation très théâtralisée qui renforce le caractère sacré de l’objet et, in fine, celui de la marque »souligne le sociologue Stéphane Hugon.

« Avec le challenge #cheapestthing, des tiktokeurs se lancent le défi d’acheter la chose la moins chère qu’ils peuvent trouver chez une marque de luxe (comme des cotons démaquillants Chanel) pour se procurer une part de rêve, mais aussi pour réaliser des cérémonies d’unboxing. Ce n’est pas tant le produit qui stimule, mais bien l’expérience du déballage », insiste Morgane Pouillot, planneuse stratégique chez LeherpeurParis.

Oublié le « shame of buying »

Sur Instagram, gros succès aussi de ces faux beaux livres griffés Chanel posés sur la table basse – seule la couverture est réelle, l’intérieur est vide. « C’est ce qu’on appelle un “screen lifestyle”, un style de vie créé pour les écrans, souvent fantasmé, reflet de ce à quoi on aspire. Se photographier avec des emballages, c’est se poser en pseudo-consommateur de luxe et capter une partie de l’influence de la marque. C’est comme construire son avatar dans un jeu vidéo. Qui pour vérifier que mes boîtes sont vides ? », souligne Morgane Pouillot, qui remarque aussi qu’une génération de tiktokeurs s’empare de ces boîtes vides pour les upcycler et les personnaliser. Et de transformer un sac shopping Versace en une minaudière stylée, avec son logo bien en vue.

@Chantal Maguire

Le mouvement shame of buying (la honte associée au shopping, notamment à l’achat de produits de mode, pour des raisons environnementales), né en Suède en 2019, paraît bien loin. La pandémie l’aurait-elle balayé ? On a pu imaginer un temps que les sacs anonymes prendraient le relais des sacs en papier griffés, pour camoufler ses éventuels achats de luxe et passer incognito, mais la tendance semble en avoir décidé autrement.

La résistance à l’hyperconsommation se niche maintenant dans les options d’expédition « zéro emballage » : ainsi la marque parisienne Roseanna demande-t-elle désormais à ses clientes si elles ont vraiment besoin de papier de soie autour de leur jupe. De quoi alléger les colis comme les consciences.