En revue (Le Figaro) : La Régression – Une thérapie collective ?

© @miumiu


« Tout le monde a besoin d’un peu de  » mignonnerie » pour s’évader de son quotidien » : la régression, le nouveau cool ?

DÉCRYPTAGE – Du nouveau parfum Miu Miu au carton de Netflix Kpop Demon Hunters, en passant par les peluches Labubu, ces phénomènes mondiaux en disent long sur les obsessions de l’époque. Vit-on une crise d’adolescence intergénérationnelle ?

Qu’ont en commun Labubu, la mode de Miu Miu et KPop Demon Hunter ? D’abord, un succès phénoménal en 2025 – 700 millions de dollars de recette rien qu’au premier trimestre pour la figurine de Pop Mart; un record de croissance pour la marque italienne; la 2e place des films les plus vus de tous les temps sur Netflix pour la fiction sortie en juin et déjà visionnée 236 millions de fois. Ensuite, un fort tropisme adolescent – des peluches, des jupes de collégienne, un film d’animation – même si, à chaque fois, l’âge du public peut varier de 10 à… 50 ans. «Dans un monde où la réalité devient trop lourde à porter, la régression, associée à une forme d’insouciance de l’enfance et de l’adolescence, est vécue par les consommateurs comme une échappatoire irrésistible, analyse Morgane Pouillot, trendsetteuse chargée de la prospection au sein de l’agence Leherpeur. Cette catharsis devient une forme de résistance. C’est une manière de créer de l’espace pour l’imaginaire, un cocon réconfortant pour fuir une réalité quelque peu tourmentée.»

© Louis Vuitton


Pour Juliette Méo, analyste de l’Atelier 15, spécialisé dans les comportements d’achat spécialisé de la beauté et la mode, «il faut voir dans ces envies régressives l’expression d’un ras-le-bol du quiet luxury avec son esthétique très neutre et aseptisée. C’est un besoin d’expression libre couplé à une certaine nostalgie très assumée. Je ne crois pas que ma mère qui a plus de cinquante ans, aurait osé accumuler les figurines et les petits bonshommes pour customiser son sac, il y a cinq ans, ce qu’elle n’hésite plus à faire aujourd’hui. Tout le monde a besoin de cet effet doudou, d’un peu de ‘mignonnerie’ pour s’évader de son quotidien.»

La «phase régressive» est un grand classique de l’adolescence, comme un retour à la sécurité de l’enfance pour compenser la perte de repères de la puberté. Elle est un phénomène culturel observé depuis les années 1960 et les yéyés à couettes et socquettes, mais aussi avec l’émergence du kawaii au Japon dès les années 1970, les tétines (déjà) portées en pendentif dans le milieu du clubbing des années 1980, le look des pop stars à la Britney Spears dans les années 1990, etc. «À chaque fois, ces esthétiques proposaient une échappatoire joyeuse face à l’angoisse politique. Un univers facile qui fait du bien comme un bonbon. Un refuge superficiel assumé, mais totalement satisfaisant parce que totalement léger.»

Une thérapie collective

L’arrivée des réseaux sociaux a décuplé le phénomène, en globalisant les goûts et les tendances au niveau mondial. Surtout, plus surprenant, il touche un cercle beaucoup plus large en âge. «Il y a quelque chose de chaotique, d’absurde, de punk dans ces créations au sens large qui fascinent les plus âgés, ajoute Juliette Méo. Le mélange de cette énergie rebelle, d’une forme de désinvolture, associé à une créativité spontanée – qu’on retrouve chez Miu Miu par exemple – s’apparente à une thérapie collective : il vaut mieux embrasser le chaos plutôt que s’y soumettre.»

Dans la mode, Miu Miu est un cas d’école. Ces dernières années, la griffe de mode italienne, à l’origine la ligne «jeune» de Prada, est devenue la plus hot du secteur avec ses «hero products» : le polo de jeune fille, la minijupe, les lunettes de première de la classe, etc. Cette rentrée, L’Oréal, qui détient la licence parfum, veut décliner ce succès et cette désirabilité dans un sent-bon très mignon, le bien nommé Miutine. Un lancement hautement stratégique, le groupe de cosmétique parie beaucoup sur cette création qui se veut différente des produits pour jeunes filles. En témoigne la soirée de lancement qui a eu lieu à New York début septembre et était «the place to be», avec en égéries d’un soir, Lola Tung, la jeune héroïne de L’été où je suis devenue jolie, le soap pour ados de Prime Video qu’adorent les mamans quadra, mais aussi Chloë Sevigny, éternelle Jennie de Kids (1995) malgré ses 50 printemps. Dans le flacon, une «fraise sauvage, la Mara des Bois, variété française rare, récoltée une fois par an et dont la chair confiturée est l’ingrédient préféré des pâtissiers français, explique Ladan Lari, directrice générale internationale Miu Miu Beauté.


Ainsi, pour faire de Miutine un futur best-seller, le parfumeur Dominique Ropion travaille depuis longtemps sur cette gourmandise juteuse et pétillante – mais en décalage avec les autres odeurs de sucre qui saturent le marché, avec juste ce qu’il faut d’anticonformisme pour coller à l’image de la Miu Miu girl. Dans le spot publicitaire filmé par la réalisatrice primée au Festival de Sundance, Hailey Benton Gates, Emma Corrin, petit rat de bibliothèque, incarne dans un univers mélancolique et loufoque la définition de Miutine. «Adjectif, utilisé pour décrire une personne dont l’esprit est déterminé, sans contrainte, dit la voix off. Elle avance dans la vie selon ses propres termes. (…) elle connaît les règles mais agit comme si elles n’existaient pas. Miutine, le nouveau parfum de Miu Miu, défini par vous.» A l’ère de la viralité instantanée, il y a bien longtemps que la contre-culture est devenue mainstream.

Par Valérie Guédon pour Le Figaro