Post covid-19 en Chine : “revenge shopping” or “conscious buying” ?
Premier marché de la mode et du luxe au monde, la Chine et ses consommateurs chinois, force motrice de ce dernier, représentent un tiers des ventes de luxe dans le monde. Un mastodonte de la consommation qui n’a pas été épargné par le ralentissement des activités et le confinement, suite à la pandémie Covid-19.
Gravement perturbé, le secteur de l’habillement chinois a enregistré une chute de 30% sur les ventes au détail, au cours de la deuxième semaine de mars par rapport à la même période l’an dernier (cabinet d’études Cowen). Néanmoins, malgré l’altération du marché, certaines entreprises chinoises sont plutôt optimistes quant à la reprise, comptant, pour beaucoup, sur le « revenge shopping » ou « revenge spending ». Émergeant, depuis février sur les réseaux sociaux Chinois, cette expression cristallise la soif de shopping refoulée des consommateurs chinois, pendant la quarantaine, qui vont compenser en surconsommant après. Les premières utilisations du terme baofuxing xiaofei (保兴小飞/revenge shopping) remontent aux années 1980 et furent employées pour illustrer la frustration des citoyens chinois, privés des produits étrangers lors de la fermeture du pays au monde extérieur, avant la réouvertue par Deng Xiaoping, ancien secrétaire général du parti communiste chinois.
À l’heure où les effets du virus ont remis en question les fondements de la mondialisation et posé les limites d’un système arrivé à obsolescence, le concept de « revenge shopping » paraît absurde et antinomique avec les préoccupations environnementales de l’ère pré-Covid. Mais, il ne l’est pas tant, quand on l’associe à un pays tel que la Chine pour qui la consommation et le shopping sont ancrés dans la culture et qui voit encore des bénéfices vertueux dans la mondialisation. Par ailleurs, il est presque paradoxal, dans la mesure où le shopping ne s’est jamais complètement arrêté pendant le confinement. Une partie des chinois ont, simplement, déporté leurs actes d’achat sur le digital, d’où le bond croissant de ventes sur les plateformes telles que Taobao.
Cependant, la Chine ne peut se réduire à une unicité comportementale vis à vis de la consommation.
Si certains parlent de « revenge shopping » et d’une hausse de leurs achats, d’autres évoquent surtout une mutation de la nature de leurs achats pour se détourner vers plus de conscience et d’expérience. Selon un rapport du groupe mondial de conseil en communication Ruder Finn, 82 % des plus de 800 consommateurs interrogés, avec un revenu familial annuel de plus d’un million de RMB, estimait que « le virus affectait négativement l’économie chinoise et qu’ils prévoyaient de réduire leurs dépenses dans les secteurs de la bijouterie, de la maroquinerie, au profit des voyages, de la gastronomie et des accessoires en cuir haut de gamme ».
Pour Gao Ming, directeur général du département Luxury Practice China chez Ruder Finn, « le revenge shopping ne deviendra pas un phénomène courant, certains types de produits de luxe pourraient connaître un regain de la demande mais les marques vont devoir penser autrement pour réduire leurs dépenses et apprendre à établir des relations avec les consommateurs à l’ère post-virale. » L’instabilité du climat, suite à cette crise dévastatrice, a altéré le sentiment de sécurité des consommateurs, qui ne sont plus prêts à investir dans des achats de luxe futiles et qui préfèrent privilégier l’investissement dans des produits plus durables et sécurisants. Un comportement que les élites chinoises tendaient déjà à adopter avant la crise, s’éloignant d’une consommation ostentatoire.
Si, à travers les réseaux sociaux Chinois, l’engouement double pour les dépenses « rationnelles », plus « éco-conscientes » versus le « revenge shopping » sont manifestes, les séquelles psychologiques et économiques, provoquées par l’épidémie, sont susceptibles d’alléger sévèrement le pouvoir d’achat et de faire évoluer la consommation chinoise. Autrefois frénétique, pourrait-elle à l’ère post-virale se tourner vers plus de sens et de raison ? En tous les cas, la fermeture des marchés et des frontières profitent au made in China, dont les atouts et le savoir-faire se redécouvrent à l’échelle locale. Des éléments qui confirment les prévisions sur la forte hausse des achats luxe en intra-muros d’ici 2025.
Crédit Photo : Felicity Ingram