En revue (L’Obs) : Les tendances mode, ça s’en va et ça revient…

LE CARDIGAN PRESSION AGNÈS B. FAIT SON GRAND RETOUR.

Avant-hier adorées, hier détestées, aujourd’hui glorifiées…
Les tendances mode fonctionnent par cycles et selon des règles aussi profondes que mystérieuses. Explications

Voici deux ados, bras dessus bras dessous, arborant un sac 24H de Gerard Darel pour l’une et un Pliage Longchamp pour l’autre. Il suffit de se promener dans les centres-villes des grandes agglomérations françaises à l’heure de la sortie des lycées pour constater combien la mode est un éternel recommencement. Ces modèles qu’adoraient leurs mères en leur temps, ces jeunes filles les portent de la même façon : au creux du coude. Comme dans la série « Gossip Girl » (diffusée depuis 2007) ou comme les mannequins du défilé Miu Miu de cet hiver. « Brûle ce que tu as adoré. Adore ce que tu as brûlé »

Ce printemps, si l’on en croit les podiums, on croisera bien d’autres revenants : des pantalons capri ou des baggys taille basse, des polos ou des twin-sets, des baskets de skaters ou des ballerines extra-plates… Ainsi, la cote du City de Balenciaga – sac créé en 2000 par Nicolas Ghesquière – a bondi sur Vinted lorsque la maison a annoncé son retour en janvier, relifté par Demna Gvasalia, son directeur artistique actuel. La campagne de pub du sac met notamment en scène l’actrice Nicola Peltz dans une esthétique « so 2000 » : en jogging et haut de survêtement crop top rose bonbon, à la manière de Paris Hilton portant du Juicy Couture. Voici tout le paradoxe de la mode : jongler sans cesse entre un passé qui rassure et un présent porteur de nouveauté. C’est le fameux « now-stalgie ».

UNE QUESTION DE RÉINTERPRÉTATION

Ces emprunts au passé n’ont rien de nouveau, ils font même partie intégrante du fonctionnement cyclique de la mode. La logique est implacable : après un engouement collectif pour une tendance, survient un rapide désamour. « La mode passe et lasse… Elle est toujours une réponse à ce qui vient d’être créé », rappelle Guillaume Henry, directeur artistique de Patou. « Lorsqu’on est constamment exposé à quelque chose, on aspire à voir son contraire. Ce qui compte, c’est réussir à identifier les envies de l’instant », abonde la styliste Agnès B. dont le célèbre cardigan pression, créé en 1979, est aujourd’hui en plein revival – s’affichant par exemple sous les doudounes North Face des lycéennes…

Pour l’historienne de la mode Florence Müller, toute l’histoire du vêtement est une affaire d’aller et retour dans le passé : « La crinoline du XIXe siècle, par exemple, est une façon de revisiter la robe à paniers du XVIIIe. Quant à la robe trapèze des années 1960, portée avec des chaussures plates, elle s’inspire des pièces des années 1920, ces sortes de chemises sans pinces, taillées dans des rectangles qui tombaient loin du corps. Rien d’étonnant à cela : ces deux périodes ont été des moments de libération de la femme.» La spécialiste cite également la mode de Christian Dior qui puisait aussi bien dans la Belle Epoque, le Second Empire ou le XVIIIe siècle. Contrairement à la tradition vestimentaire masculine – qui se caractérise par une incroyable stabilité des formes du XIXe jusqu’au début du XXe siècle –, la mode féminine a un rapport au temps plus « anxieux », souligne joliment l’historien de la mode Farid Chenoune : « Le vestiaire féminin pratique régulièrement les rapports nostalgiques. Il cultive un sentiment d’urgence, une hypertrophie de la sensibilité au nouveau, se caractérisant par des microcycles. »

Il est également de plus en plus fréquent que les designers pratiquent l’autocitation, prenant appui sur leurs propres archives et rééditant des pièces dites « iconiques ». C’est ce que le critique musical, Simon Reynolds, appelle la « rétromania », la dévoration par la culture pop de son propre passé. Quant aux consommateurs, ils s’inspirent plus que jamais de la mode d’avant, puisqu’ils sont à la fois adeptes du vintage et au contact, via les réseaux sociaux, d’une somme considérable d’images d’archives. Mais tout est question de réinterprétation. L’esthétique mob wife (« femme de mafieux ») revient au goût du jour, certes, mais elle s’incarne aujourd’hui dans des manteaux bling… en fausse fourrure. Un trench de 2024 n’a rien à voir avec la version de 1950 : les tissus sont différents, les proportions aussi. Lors d’une conférence à Harvard en 2017, Virgil Abloh, fondateur de la marque Off-White et directeur artistique de la mode homme chez Louis Vuitton jusqu’à son décès, en novembre 2021, affirmait qu’il suffisait de changer 3 % d’un design existant pour le réinventer.

« Dans la mode, on remodèle constamment un langage. Tout se joue dans la manière de porter et d’accessoiriser une pièce, analyse Morgane Pouillot, planneuse stratégique chez Leherpeur Paris, citant l’exemple de la ballerine, revenue sur le devant de la scène, après des saisons d’errance. Elle est désormais associée aux baggys et à la libération des corps, alors que dans les années 2000, elle était portée à la Kate Moss avec des pantalons slim. » L’analyste remarque d’ailleurs un certain décalage générationnel dans ces retours de tendances : « Une pièce devenue ringarde pour celles et ceux qui l’ont connue dans leur jeunesse va être considérée comme désirables par les jeunes d’aujourd’hui. » Il est clairement peu probable que celles qui ont adopté dans les années 2000 les crop tops et les baskets à talon compensé Isabel Marant ou les Puma Mostro à scratch en aient à nouveau envie aujourd’hui…

PLUS RAPIDE QU’AVANT

Reste que la réapparition d’une tendance sur les podiums contient toujours une part de mystère. Comment des créateurs, sans s’être concertés, peuvent- ils présenter en même temps des choses similaires – une nouvelle forme, un vêtement oublié, un gimmick quelconque ? À l’image de cette avalanche de traînes qui envahissaient les podiums il y a moins d’un an. « Il m’arrive de voir un défilé qui a lieu quelques jours avant le mien explorer un concept similaire. Une fois, la marque Blumarine s’est inspirée de Jeanne d’Arc comme moi, en présentant sa collection juste avant la mienne. J’appellerais cela le Zeitgeist », avance la designer Florentina Leitner, dont la dernière collection fait écho au film «Pique-nique at Hanging Rock» qui se déroule à l’époque victorienne. « L’air du temps se renifle, il n’est pas palpable, c’est une abstraction, et parfois ce n’est pas explicable. L’instinct est ce qui est le plus précieux, il faut être prêt à l’accueillir, n’avoir aucune certitude et s’autoriser à apprécier des choses qu’on détestait jusqu’alors », détaille Guillaume Henry. Alors que les tendances sont de plus en plus algorithmées, programmées grâce à l’analyse de la data et le recours aux neurosciences, les créateurs sont nombreux à revendiquer leur intuition. D’autres vont même plus loin : « Je ne regarde jamais ce que font les autres. Je pense qu’instinctivement, je me protège », confie Agnès B.

A ce stade, une question demeure : combien de temps met une tendance pour s’offrir un retour de hype ? Si le phénomène échappe aux règles strictes, une chose est certaine : la mécanique est plus rapide qu’avant. « Les réseaux sociaux et la fast fashion font que tout va plus vite, les cycles sont très courts et les créateurs ont beaucoup moins le temps d’installer leur travail, les gens se lassent si vite », remarque Alice Vaillant, créatrice de la marque Vaillant, lancée en 2019, qui gagne en notoriété chaque saison. Ainsi, après la tendance « Y2k » (années 2000), on commence déjà à passer au retour de l’indie sleaze (années 2010). Longtemps, les tendances naissaient de manière linéaire : un couturier imposait une ligne ou une silhouette, avec un temps de digestion de plusieurs mois, voire années. « Ce ruissellement du haut vers le bas n’est plus d’actualité. Les réseaux sociaux font émerger une pluralité de micro-tendances qui prolifèrent et cohabitent », avance Morgane Pouillot. La machine semble inarrêtable : « J’ai l’impression que les gens ont désormais besoin de se réinventer toutes les trois semaines. Mais il faut du temps pour pouvoir apprécier quelque chose ! C’est comme lorsqu’on goûte un plat pour la première fois, on ne l’aime peut-être pas tout de suite… Aujourd’hui, on n’a plus vraiment le temps de savourer », conclut Guillaume Henry.

Par Sophie Abriat