L’Œil Paris Photo: réparer, revendiquer, désirer

Et si la photographie ne captait plus le réel mais le réinventait ?
Édition après édition, Paris Photo s’impose comme bien plus qu’une foire internationale : c’est un baromètre culturel, un espace où l’on observe comment le monde se raconte à travers l’image. L’édition 2025 confirme ce rôle stratégique. On y perçoit un tournant profond : la photographie ne se limite plus à documenter le réel, elle le retisse. Elle devient une pratique qui répare les identités, met en scène les luttes, et réinvente le désir.
Cette année, les œuvres exposées tracent les contours d’une époque en tension (écologique, politique, intime) où l’image apparaît comme un moyen de remettre de la cohérence dans ce qui vacille. À travers les univers de Francesca Allen, András Ladocsi, Mia Weiner, Bérangère Fromont, Romero Beltrán ou Julie Balagué, émergent trois grands mouvements: réparer, revendiquer, désirer.
Réparer : quand la photographie devient un acte de réparation du sensible
L’esthétique de la réparation s’impose dans cette édition. Chez Mia Weiner, le tissage devient un acte de soin : ses compositions photographiques traduites en fils, ponctuées de “glitches” ou de ruptures, incarnent une radical softness qui résiste et milite contre la conformité. Sa pratique transforme l’image en moment délicat, fragile, presque vivant.
Même logique chez Bérangère Fromont, qui capture pendant deux années l’écosystème de la Place de la République. Images, tracts transformés en sculptures, silhouettes en transit… l’artiste archive un lieu où se superposent mémoire collective, agitation politique et instants d’émotion. Elle fabrique des fragments de réparation collective, comme une tentative de réconcilier une ville avec ses âmes en mouvements.
Enfin, Julie Balagué incarne une autre forme de réparation : rendre visible ce qui a été invisibilisé. Dans Anatomie de l’invisible, elle mêle texte et image pour recomposer une mémoire féminine disséminée, longtemps tue. Une manière de réparer l’Histoire par l’intime.
Revendiquer : le corps comme manifeste politique
Chez Felipe Romero Beltrán, le corps est au cœur d’un champ politique : la migration. Dans Bravo, les portraits frontaux, les paysages scarifiés, les intérieurs austères évoquent la présence suspendue de ceux qui attendent à la frontière sans savoir s’ils passeront. Le corps devient preuve, archive, résistance.
András Ladocsi, lui, travaille la nudité comme un état fondamental, non sexualisé. Une manière de dépouiller le corps de ses surcharges symboliques pour le ramener à son essence : un espace d’existence brute, honnête, sans compromis.
Désirer : le luxe face à une nouvelle esthétique documentaire


Troisième mouvement : le désir change de forme. Le luxe aussi. À Paris Photo, les marques partenaires s’éloignent des images trop maîtrisées pour se rapprocher d’une esthétique plus incarnée, plus émotionnelle. Chloé illustre clairement ce glissement en choisissant la série de Francesca Allen, où le féminin s’exprime sans filtre, par des rites minuscules et des gestes presque domestiques. Un luxe qui ne cherche plus à impressionner, mais à toucher.
Dans cette même dynamique, Louis Vuitton confirme son rôle de passeur culturel. Sa collection Fashion Eye, enrichie cette année par Bharat Sikka et Julia Hetta, valorise l’exploration sensible plutôt que le spectaculaire. Sikka capture un Rajasthan humble et flamboyant, où la couleur semble respirer à travers la poussière. Ces univers proposent un désir moins frontal, plus profond : un luxe qui s’appréhende par la lenteur, l’énigme, la narration.
Paris Photo 2025 révèle une photographie qui ne se contente plus de représenter le monde : elle aide à le réparer, à le questionner, à le désirer autrement. À travers ces trois mouvements se dessine une époque en quête de cohérence, de confrontation et de profondeur. Ce que l’on voit cette année n’est pas seulement esthétique. C’est le portrait d’un monde et d’un art qui cherche, encore et encore, à se réinventer.












